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Deuxplusquatre
19 janvier 2005

Tsunami de l'image

Dodo a besoin pour l'école de documentation sur le tsunami qui a frappé l'Asie ce 26 décembre. Je me lance dans une recherche sur Internet. Je tombe directement sur le site de la Nasa, dont les photos par satellite sont impressionnantes. Puis sur celui de Wikipedia qui propose une approche du temblement de terre pour les enseignants du primaire et du secondaire. Pas facile de trouver des informations abordables par les enfants. J'ai d'autant plus apprécié cette page du Journal des enfants qui s'efforce de présenter la catastrophe sous différents aspects, mais en mettant surtout l'accent sur l'après-tsunami : comment survivre, comment aider...

Le plus interpellant, sur le net comme ailleurs, ce sont les images, abondantes jusqu'à la saturation, qui donnent à voir absolument tout, quasi minute par minute. Avant, pendant, après le tsunami, des images effroyables, que l'on retrouve sur des sites spécialisés, des sites qui se sont créés à l'occasion, des blogs en tout genre. De pages en pages, les mêmes images reviennent, reprenant à l'infini les mêmes thèmes : la mer arrive; la vague emporte corps et biens sur son passage; les villes et les villages sont détruits; les cadavres s'entassent; l'aide arrive; les gens vont, désespérés, d'un endroit à l'autre, à la recherche de leurs proches; l'aide internationale s'organise; des camps rapidement montés accueillent les réfugiés; la nourriture est distribuée, les soins dispensés; l'ordre remplace très lentement le chaos.

Qu'est-ce qui pourrait figurer dans la documentation de Dodo ?

Pas de photos de cadavres. Elle n'a que neuf ans tout de même et elle a été exposée a suffisamment d'images de ce genre aux journaux télévisés. D'ailleurs, me rappelle-t-elle, son instituteur ne veut pas.

Et puis, pas de photos où l'on voit des gens se bousculer, mains tendues, pendant qu'on leur jette de la nourriture d'un hélicoptère ou d'un camion. Ca embarrasse Dodo. Pourquoi ? Elle ne sait pas, elle trouve seulement que ce n'est pas bien de montrer des gens dans une telle situation."Ils n'ont pas voulu être comme ça.", c'est tout ce qu'elle peut en dire.

Alors j'adopte une approche clinique : je prends des photos par satellites qui montrent la côte du Sri Lanka il y a un an et il y a 3 semaines. Ce type de photos montre l'ampleur de la catastrophe tout en maintenant la distance avec elle. Deux photos de Banda Aceh, l'une avant, l'autre après, valent à mon sens bien d'autres images dans l'économie de leur message. Parmi les pages proposant des photos, celle que j'ai préférée est celle-ci : les photos sont légendées, situées dans leur contexte, et surtout, les gens ont au moins une nationalité sinon carrément un nom. Ce ne sont plus des victimes perdues dans une masse indifférenciée, mais des individus, qui vivent une tragédie personnelle.

Pour illustrer ce post, j'ai gardé cette photo, pour une raison assez simple : parmi toutes les photos que j'ai vues, si on excepte celles de la vague elle-même ou de la destruction qui s'en est suivie, comme la photo de la mosquée de Banda Aceh entourée de ruines, très peu signifient quelque chose par elle-même. Des gens qui déposent une gerbe au bord de l'eau, des enfants qui mangent, des hôpitaux, des membres d'association humanitaire, tout cela sont hélas des images mille fois vues. Je crains que, dans six mois, si on nous montrait à nouveau une de ces photos, il nous sera bien difficile de la situer dans le contexte précis du tsunami du 26 décembre 2004. D'ailleurs, je ne sais même pas si les liens que je place maintenant ne seront pas déjà brisés.

Celle-ci, par contre, je la trouve signifiante, sinon symbolique. Quelle chance y avait-il pour que ces deux êtres se retouvent dans une telle position, lui un soldat américain, elle une jeune fille d'Asie dont on ne connaît pas la nationalité. Il la porte avec aisance et concentration, elle s'abandonne dans ses bras les yeux perdus dans le vague, ils sont perdus au milieu d'un nulle part que la vague vient de créer. Pourquoi la porte-t-il ? On ne sait pas. On sait que seul ce cataclysme-là a pu les réunir ainsi, devant l'objectif d'un photographe. Par delà eux-même, ils symbolisent tant de choses:  l'Asie en deuil, le monde solidaire, le tiers-monde en détresse, l'Amérique toute-puissante. Elle est en demande, il est en position d'offrir. Mais ils appartiennent aussi tous les deux à des groupes minorisés : l'une est cataloguée par le sexe, l'autre par la couleur sombre de sa peau. Ils sont à l'image de ce qui se passe aujourd'hui en Asie, complexes et réclamant notre compréhension et notre vigilance.

C'est pour ça que je voulais que cette photo survive au tsunami de l'image.

J'ai parcouru avec Dodo la documentation que j'avais sélectionnée pour elle. Elle était contente, entre autres, des histoires de sauvetage, comme celle de la petite Tilly. Elle voudrait aider les enfants victimes du tsunami. Je crois que son instituteur a un projet en ce sens.

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